Spéléologie au Costa Rica : des grottes aux chauves-souris tropicales
- Anaïs BOULAY
- 15 févr.
- 11 min de lecture
Quand on entend parler du Costa Rica on pense aux volcans plutôt qu'à la spéléo.
Pourtant, bien que de taille modeste, le Costa Rica regorgent de petits karsts variés - dont nous avons pu parcourir une partie des deux plus grands grâce au club spéléo Anthros, bien actif sur son territoire.
De retour d'un mois passé au pays des paresseux, nous voilà riche d'une expérience spéléologique faunistiquement surprenante. J'aime notre discipline qui, par notre objectif spéléologique, sait nous faire vivre des moments inattendus.

ARCHIVES
Aussitôt la décision prise d'aller vagabonder au Costa Rica, aussitôt me voilà à fouiller dans la précieuse Banque de Donnée de la CREI (Commission des Relations et Expéditions Internationales) pour jeter un oeil sur les expéditions de spéléologie françaises au Costa Rica.
Les expés sont aussi rares que les karsts du pays :
Une expé scientifique en 1994 (une étude très intéressante sur la néotectonique).
Une expé "de repli" d'une équipe française en 2008, qui a été peu fructifiante.
Nous apprenons qu'une expé Suisse a eu lieu en 1991 dans le secteur le plus vertical du pays et que les spéléos Américains US viennent également explorer les grottes du CR de temps en temps.

Grâce aux Américains US, je trouve une spéléométrie de 2020 du Costa Rica publiée dans le magazine Ambiantico. (Tico=Habitant du Costa Rica). Nous voilà avec une idée de l'envergure des karsts : la cavité la plus profonde atteint -157m tandis que la cavité la plus longue comptabilise 3872m de galerie. Les karsts sont jeunes : le plus ancien s'est mis en place au Miocène.
Pour compléter, le correspondant CREI du Costa Rica, Bernard ABDILLA, nous recommande aimablement quelques contacts sur place.

CONTACT LOCAL
Rien de mieux pour découvrir les paysages souterrain d'un pays que de prendre contact avec les clubs locaux. Nous contactons Gustavo, président du club de spéléologie Anthros, pour faire savoir nos disponibilités et motivations. Il s'agit du seul club du pays. Il a l'avantage de regrouper tous les spéléos du territoire, nationaux et étrangers. Aussi, selon la région dans laquelle nous étions, Gustavo a pu nous mettre en contact avec tel spéléo ou tel autre. La divulgation des informations est relativement inaccessible sans le contact avec le club et il n'est pas usuel d'explorer les grottes du pays sans être accompagnés par un membre du club. Aussi, dans le respect de leurs découverte, je ne pourrais pas partager les topo que Gustavo a pu nous mettre à disposition.
CAVERNAS CORREDORES
Lors de notre séjour nous avons la chance de faire la rencontre avec la spéléologue et biologiste Bulgare Stanimira DELEVA qui nous a naturellement proposé de l'accompagner pour faire ses suivis de faune troglobie dans la "Zona Sur" (Zone 3 sur la carte) près de la ville de Rio Claro. Cette proposition nous enchante : quoi de mieux que de se rencontrer à travers une double passion commune : la spéléo et la faune.

RDV à l'aube. Au Costa Rica on vit avec le rythme du soleil. Nous nous retrouvons dans la chaleur de ce premier jour à remonter le large et sauvage Rio Corredor, en sautant de bloc en bloc. Nous traversons maintes fois la rivière en faisant attention à ne pas faire tomber le matériel scientifique à l'eau. Le courant nous arrivait parfois jusqu'aux hanches et menaçait notre équilibre. Notre marche d'approche est rythmée par l'observation des indices de présence des animaux qui vivent près du cours d'eau. Nous avons la chance de voir le passage fugace d'une martre noire (si grosse qu'on l'a prise pour un petit félin), nous avons trouvé le délicat crâne d'un basilique (il rappelle clairement les ptérosaures), nous avons fouillé quelques crottes et, cachée dans les feuilles d'héliconia, nous sommes tombés "nez à ventouse" sur une splendide rana de cristal (grenouille de verre). Une escale dans une petite grotte située en RD du Rio Corredor nous permet de nous familiariser avec les premières micro-chiroptères du pays. Des chauve-souris nichent à l'entrée de la grotte (Scopteryx et Carolia) tandis que le fond est réservé à une belle colonie de chauve-souris vampires (dont l'odeur du guano est nauséabonde). Ces dernières, si terriblement redoutées, ont un comportement intriguant : elles sautillent au sol et bondissent du plafond comme des petits zombis, en poussant sur leurs 4 pattes en même temps. Ça gigote bien dans cette première petite grotte, peu développée (50m environ) mais bien fréquentée par nos petits mammifères.

Au terme d'une heure de progression, nous atteignons la résurgence de Corredores . La cavité est une large rivière souterraine, la dimension des galeries est confortable, les formes d'érosions sont notoires et il fait chaud : on ne supporte pas la combinaison spéléo, on transpire constamment si bien qu'on ne rechigne pas à se mouiller. Le développement de la grotte est d'environ 2000m, le dénivelé est négligeable. Corredores est en tête de liste de la spéléométrie du Costa Rica car elle fait partie du plus gros système karstique, qui totalise 3872m de développement cumulé par 4 grottes, dont je suis incertaine qu'elles aient été physiquement jonctionnées.

Corredores regorge de nombreuses chauve-souris de différentes espèces. Pas de familier petit rhinolophe à l'horizon, ici on connait encore peu les micro-chiroptères locales. L'abondance de guano couplée à des conditions de température et d'humidité élevé, augmente le risque de contracter l'histoplasmose. La précaution est de rigueur, nous prenons soin de mettre un masque pour freiner l'aspiration des spores, en reconnaissant que cet acte est certainement plus psychologique qu'efficace. Stanimira a une capacité incroyable pour reconnaitre une chauve-souris à son vol ou à son comportement. Charlie et moi avons exercé notre oeil d'assistant-chiroptérologue tout en jouissant de déambuler au milieu de ce bal tourbillonnant de chauve-souris. Nous avons pu participer aux observations, aux comptages et à l'écoute via une batbox très moderne qui se branche sur le portable. Nous avions aussi pour mission de recenser la population de poissons-chats troglobie, qui s'est fortement développée depuis le dernier passage de Stanimira il y a quelques années.
Bilan des courses : la population de chauve-souris dans Corredores va bien. Nous avons recensé 5 espèces qui cohabitent, entre frugivore et insectivores : Scopteryx Bilineata (reconnaissable grâce aux 2 zigzag sur son dos) , Carolia perspicillata (elle avait des bébés ce jour là), Pteronotus mesoamricanus (elle vole comme un papillon), Natalus mezxicanus (très petite), et des Artibeus jamaicensis (une espèce frugivore).
UNE SURPRENANTE DIVERSITÉ DE CHAUVE-SOURIS

Cette journée aventure-chauve-souris nous a tellement plu que nous accompagnons Stanimira sur un autre suivi dès le lendemain. Direction la grotte d'Emus, toujours située dans la zone 3, cette fois-ci sur les rives du Rio Claro. Cette grotte, bien que plus modeste de développement (900m), est de nouveau parcourue par une belle rivière souterraine peuplée de poissons-chats troglobie. Nous notons qu'ils n'ont pas le même comportement que ceux de la veille. Nous avons remarqué que ceux-ci sont plus timides et plus tranquilles, ils ont tendance à se cacher contrairement à ceux de Corredores que notre présence ne semblait nullement perturber.

Nous trouvons un crabe complètement troglobie et qui donna son nom à la salle où nous l'avons trouvé. Cette fois-ci, mises à part les chauves-souris dans le porche d'entrée, c'est quasiment le désert de la chiroptère, alors que Stanimira avait recensé une belle population il y a quelques années. Son petit doigt nous dit qu'il doit y avoir une explication à cette désertification. La réponse dandine au plafond, accroché au bout d'une patte : la chauve-souris Falsium Vampyrum Spectrum (aussi connue comme Faux-vampire ou chauve-souris Javelot). La plus grosse chauve-souris des Amérique (1m d'envergure toutes ailes déployées) est, cachez-vous bien : carnivore ! Elle se nourrit de petits oiseaux, de petits mammifères et pourquoi pas d'autres chauve-souris plus petites qu'elle. De quoi faire déguerpir toute la colonie.
Alors ça, pour une nouvelle ! Nous explorons la grotte de fond en comble, le calcaire est très clair, la rivière siphone en aval, on peut franchir le siphon pour s'amuser, derrière se cachent quelques petites cascades. En amont, la rivière sort d'un chaos de blocs couplé d'une étroiture impénétrable.

Avec ces découvertes, Charlie et moi souhaitons en découvrir encore plus sur les micro-chiroptères tropicales. Nous accompagnons alors Stanimira dans ses suivis de chauves-souris, mais cette fois-ci dans les plantations de bananiers, en plein jour, armé d'une perche avec un miroir au bout. Quel drôle d'engin ! L'ingénieux outil initialement conçu pour la mécanique va nous servir à espionner les jeunes feuilles d'heliconia qui, lorsqu'elles sont encore enroulées, seront utilisées comme gite éphémère (3 jours max) pour l'incroyable Thyroptera tricolor. Pourquoi incroyable ? La nature n'a de cesse de nous étonner: la nature a choisi de doter ces chauve-souris de ... ventouses ! Nous supposons que des petites griffes doivent rayer la carrosserie de la belle plante, ou que peut-être dans un soucis de longévité de la plante ? Après avoir visité un grand nombre de tubes d'héliconias, nous observons bien distinctement les thyroptères faire le grand écart dans la feuilles, collées avec leurs petites ventouses. Incroyable ...
Notre perche-miroir ne va plus nous quitter du voyage, on ne sait jamais !


Dans la catégorie de refuge végétal, nous explorons l'héliconia/bananier et nous visitons aussi les "tentes". D'autres espèces de chauve-souris préfèrent effectivement le bivouac. Pour fabriquer leur tarpe, les chauve-souris de genre Dermanura, Vampiressa, Artibeus, Uroderma, certaines frugivores dont Ectophylla Albaqui, rognent la nervure centrale d'une feuille de bananier pour que la feuille s'affaisse à la manière d'une tente canadienne. Parées contre la pluie, à l'abri des regards, les chauve-souris pendent tête en bas sous la tente, accrochées sur un côté de la nervure. Le petit abri végétal résiste bien : il peut servir jusqu'à 7 semaines; Malgré nos recherches intensives, nous trouvons des tentes de plusieurs époques différentes, à leurs approche nous redoublons de précautions, mais rien à faire, nous ne trouvons que des tentes désertes.
UNE NATURE SI VIVANTE

Baignés dans les chants de toucans, réveillés à l'aube par le concert hurlant des singes hurleurs, émerveillés par les grenouilles colorées, fascinés par les serpents furtifs et les basilics qui dévalent sur l'eau. Nous passons de longs moments à observer crocodiles et caïmans, scotchés devant le comportement social des tribus de singe-araigné. Nous bivouaquons sous les amandiers de plage, arbre favori des paresseux. Le vol des aras flamboyants contraste sur le ciel bleu. Nous randonnons à la recherche des fourmiliers, des tapirs, des coatis, des ratons laveurs, des agoutis. Nous guettons le quetzal resplendissant, lors de fraiches nuits passées dans les forêts d'altitude... Dans ce foisonnement de vie, les chauve-souris nous accompagne toujours ...

Un soir, alors que nous bivouaquons au bord du Rio Arenal, Charlie reconnait dans le faisceau de sa lampe frontale les petites "chauve-souris zigzag" bien alignées sous le tronc d'un arbre qui penche au dessus de la rivière :
"On a de la compagnie !" m'appelle Charlie
Je rapplique dans l'instant pour constater cette petite dizaine d'individus visiblement dans leur spot de chasse préféré: au dessus d'un point d'eau, pendue sous l'inclinaison de l'arbre, de sorte à être protégées de la pluie. Nous les retrouvons dans le même scénarios quelques jours plus tard, en plein jour, dans une réserve naturelle.
CAVERNAS DEL VENADO
Après de majestueuses descentes de cascades avec nos amis du monde du canyoning, la suite du voyage nous mène, dans la zone spéléométrique numéro 8, située non loin du volcan Arenal.

Stephany, une Tica (habitante du Costa Rica) spéléo et exploratrice de ce secteur et Scott (américain US qui vit au Costa Rica depuis des dizaines d'année) sont motivés pour partager un moment sous terre ensemble. Notre dévolu se jette sur le deuxième plus gros sytème karstique du pays. Connu comme les grottes touristiques Cavernas del Venado, ce réseau de trois grottes totalise 4925m de galeries (Cueva Higuera 955m, Cueva Menonitas 1620m , Cavernas del Venado ou Caverna Gabinarraca 2350m). Sur le papier il dépasse donc le réseau du Cerró Corredor, mais physiquement les grottes n'ont pas été jonctionnées.

Nous nous retrouvons au hotspot commercial de la spéléo, devant les grottes touristiques du Venado. Un groupe s'apprête à vivre sa première expérience spéléo accompagné d'un guide local. Située sur une propriété privée, si nous voulons parcourir les 2000m de galerie il nous faut payer un tour... Nous apprenons qu'il y a aussi une entrée verticale qui permet de faire une traversée avec descente en rappel, mis ça n'est pas au programme pour nous. Bon, il nous reste deux grottes à explorer. Nous qui aimons rentabiliser les journées et en voir le plus possible, on se dit qu'on en visitera une le matin et une autre l'après-midi. Perdu ! La grotte de Menonita est également située sur une propriété privée dont nous n'avons pas l'autorisation de passer. Il faut savoir qu'au Costa Rica la Propiedad Privada est intimement respectée.
Nous nous plions aux règles locales et descendons gaiment à travers champs - heureux d'aller sous terre - jusqu'à la doline-perte de la Higuera. La grotte a été récemment explorée et topographiée par Anthros. Il s'agit d'un petit réseau actif, chargée de boue du sol au plafond dans les méandres les plus étroits, avec de belles petites surprises tout de même. Pas question d'y venir en saison des pluies, le réseau s'ennoie complètement, comme l'atteste les limons au plafond. Nous prenons tout notre temps pour parcourir ce tortueux petit kilomètre de galeries. Steph et Scott nous mènent d'abord au passage dit "du cloaque" qui est un siphon de boue très étroit assez angoissant car, lorsqu'on s'allonge dedans, la boue fait tellement succion qu'on appréhende de ne pas pouvoir se relever. La raison de s'y mettre est simple : la connexion serait par là, dixit Scott. Charlie tente en s'immergeant intégralement dans ce bain de boue mais il est formel : il n'y a pas d'air, il n'y a pas de suite.
Nous continuons la visite. Le méandre nous libère de temps à autre dans d'assez beaux volumes, puis retour au méandre, où nous trouvons les traces d'un petit mammifères (un rat?), la suite du méandre nous mène à une salle nettement plus honorable où nous observons un ballet de chauve-souris. Revenons au cours d'eau: nous avons pour mission de photographier la faune cavernicole : de nouveau des crabes et des poissons chats, mais aussi quelques insectes. Nous identifions également une autre jonction potentielle avec Venado : celle-ci est bien plus évidente, il y a de l'air, il passerait presque, il suffirait de faire péter un tout petit peu. Mais ceci n'est pas dans le code déontologique d'Anthros : pas d'explosif ou de modification de la grotte...
Nous ressortons boueux à souhait mais heureux de ce partage. La propriétaire du Venado nous accueille à notre retour et nous offre une douche tout habillés avant de nous servir un bon casado, une assiette bien remplie typique du déjeuner.

L'ORGANISATION SPELEO CHEZ LES TICOS
Nous avons apprécié lors de notre séjour la solidarité entre spéléos appartenant à l'association Anthros. Ils sont très rigoureux sur l'organisation des sorties (fiche par sortie avec les participants, point GPS du véhicule et photo de la plaque) et s'engagent à produire un CR par sortie. Ils font de la topo. En terme d'évolution sur corde, nous n'avons pas eu l'occasion de partager de cavités verticales mais, étant peu nombreuses, et assez loin de la capitale, les spéléo Ticos ont peu d'occasion de pratiquer la corde.
Dans la zone 3 il y a la plus grosse concentration de gouffre (-150m) dont la Banano Quemado et son lac souterrain qui nous avait fort fait envie mais, venus sans amarrages suffisants, nous n'avons pas pu y organiser de sortie. De plus, depuis la chute mortelle d'un spéléo locale dans un gouffre de ce secteur, je pense que les spéléos sont plus frileux à organiser ce genre de sorties. Nous avons tenté de proposer des sorties dans le secteur 2 de Barra Honda, lui aussi un peu plus vertical, mais, étatn devenu un Parc National, il est désormais devenu très difficile d'y entrer sans un projet scientifique (à priori).
L'Association organise aussi des exercices secours de spéléo.

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