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Moulins de glace : exploration des gouffres du glacier de Chamonix

La spéléologie est décidément un discipline pleine de richesse, d'aventures et de trésors ! Encore un nouveau champs d'application à notre passion pour le milieu souterrain : la spéléologie dans les glaciers. On appelle ces gouffres de glace des "Moulins de Glace". En France, la plupart des moulins sont situés sur les glaciers du Mont Blanc.



Pour une première expérience, nous avons opté pour explorer les moulins de la Mer de Glace, situé à 2h à pied de la gare de Montenvers, à une altitude d'environ 1850m. L'endroit est idéal : en ce mois de décembre 2022, nous espérons que les gouffres atteignent environ 60m de profondeur. Nous choisissons de monter le campement à proximité du Grand Moulin, ce qui nous permet rayonner en étoile vers les moulins en 15min seulement depuis la tente !


Glaciers du Mont Blanc depuis Montenvers
Glaciers du Mont Blanc depuis Montenvers


Qu'est ce qu'un moulin de glace?

Un moulin de glace est une grotte ou un gouffre qui est formée au coeur d'un glacier. Il s'agit souvent d'une perte (horizontale ou verticale) d'une bédière (rivière de fonte du glacier). La rivière atteint la roche sous le glacier puis continue son parcours jusqu'à son exutoire, le front du glacier, similaire à une résurgence. En parcourant son chemin, elle peut creuser la roche sous le glacier en créant potentiellement un méandre dans la roche qui se dévoilera peut-être lorsque le glacier disparaitra.



Bédière d'accès à un moulin - la rivière est gelée
Bédière d'accès à un moulin - la rivière est gelée


Quand pratiquer le moulin de glace ?

L'activité de moulins de glace se pratique plutôt quand les températures redescendent et que le glacier ne fond plus. Il ont longtemps été explorés au coeur de l'hiver, en acceptant que la neige puisse reboucher potentiellement les trous (ce qui est une grande frustration vue la logistique que cela nécessite). Plus récemment, on explore les moulins plus tôt dans l'automne, lorsqu'ils ne se sont pas encore refermé, ce qui permet d'aller plus profond (parfois jusqu'à 120m sous le glacier!) et potentiellement plus loin (parfois jusqu'à 400m de progression horizontale, ce qui est exceptionnel pour de la glace en France). Certaines équipes explorent même les moulins sur la fin de leur activité, vers le mois de septembre. A cette période, les Moulins sont encore actif, ce qui veut dire qu'on les explore en se mouillant.



Descente en rappel dans un puits du "Grand Moulin"
Descente en rappel dans un puits du "Grand Moulin"


Quel matériel pré-requis pour les moulins de glace ?

Pour pratiquer la spéléologie glaciaire, il faut d'abord que les conditions soient bonnes : bonne météo, bonnes températures. Ensuite, il faut être en tenue adaptée aux conditions. Dans notre cas, pour ce mois de décembre très doux (température oscillant entre 3 degrés et -3 degrés sur le glacier), nous sommes habillés en affaires de montagne multi-couches : sous couche (ou sous combi speleo), doudoune et gore-tex pour le haut, sous couche et gore tex pour le bas, bonnet et lunettes classe IV, 1 paire de gants techniques (qui se mouille obligatoirement) et une paire de gants chauds (qui reste sèche), paire de chaussettes de ski et chaussures d'alpi hiver (location possible à Cham). Sur la mer de glace, à l'endroit des moulins, l'orientation de la vallée fait qu'on ne voit pas le soleil de la journée. Les conditions étaient optimales. seul le petit vent nous rafraichissait lorsqu'on était inactifs. En terme de progression, nous avons une paire de crampons, une paire de guêtres, un piolet (finalement deux ça aurait été pas mal), un baudrier de spéléo, un casque avec éclairage et accu de rechange gardé au chaud, 1 lot de 10 broches à glace chacun dans un mini-kit, un kit de corde chacun en 8mm et 7mm (nous étions trois) avec différentes longueurs de 60m à 20m, un crochet abalakov, des mousquetons à doigt fil et de la sangle, un pelle à neige pour l'équipe, un très bon point chaud collectif et pharmacie, et un bon thermos de thé :)



Equipement d'une main courante sur abalakov, broche à glace et piolet dans le "Grand Moulin"
Equipement d'une main courante sur abalakov, broche à glace et piolet dans le "Grand Moulin"


Organisation du mini-camps

Jour 1

Au réveil, après un bon café, on organise nos sacs à dos (50l) afin de se répartir tout le matériel sur le parking glacial de Chamonix, à l'arrière du fourgon. Malgré nos choix cruciaux et stratégiques, les sacs sont bien lourds! Il en faut de l'équipement. Outre la liste de matériel technique citée ci-dessus, il faut aussi le matériel de bivouac (tente 4 saison (résiste bien au vent, dispose d'une toile à pourrir pour la faire tenir avec de la neige à la place des sardines et souvent d'un petit auvent) , matelas -20° (ou matelas classique doublé avec un tapis de sol), duvet -10°C confort, tenue sèche pour le soir, réchaud MSR (qui fonctionne peu importe la température), dans l'idéal un deuxième réchaud dédié à faire fondre la neige pour avoir de l'eau (type jetboil), popote, nourriture (pas mal de lyophilisés), bâtons de marche, éventuellement paire de raquettes s'il y a beaucoup de neige fraiche. On a l'impression de dépasser les 20kg, avec le kits de spéléo en plus. Direction la gare de Montenvers pour prendre le petit train crémaillère qui mène au point de vue sur la Mer de Glace (37€ A/R, ce qui inclus la visite de la grotte de glace et le téléphérique qui suit pour y accéder). Si le train ne fonctionne pas, il est toujours possible de monter à pied par l'ancien chemin muletier (mais sans les mules ;) ) sur 900m de dénivelé.


Après 2h de marche dans la neige fraiche, on pique-nique et on profite des lueur du soleil pour monter le campement : on terrasse la neige pour installer notre tente 3 personnes puis on installe nos affaires et, sans plus tarder (mais 2h plus tard quand même), on part à la visite de notre premier moulin de glace.



Campement installé au beau milieu des moulins, sur la mer de glace, à Chamonix
Campement installé au beau milieu des moulins, sur la mer de glace, à Chamonix


* La Reine des Neige *

C'est un magnifique petite grotte-moulin pleine de cristaux et de concrétions de glace ! On en prend plein les yeux ! L'équipement est simple pour démarrer : une main-courante et un puits d'une dizaine de mètre. On se familiarise avec le cramponnage et l'utilisation du piolet, on installe nos premiers équipement de glace : abalakov (amarrage constitué de deux trous dans la glace qui se rejoignent pour placer une sangle), broches à glace. On veille à ce qu'il n'y ait pas de cailloux emprisonnés dans la glace pour ne pas abîmer les broches. La visite s'éternise de séance photo. On expérimente le célèbre "jeux du noir" des spéléos en éteignant nos frontales : surprise, on y voit ! Notre environnement est bleu. Sous la glace nous avons relevé la température dans chaque moulin, elle est constante : -1°C. L'expérience nous excite tellement qu'on se jette dans un deuxième moulin, malgré la nuit déjà tombée.



* Le Moulin de la Douche *

Il s'agit d'un gouffre assez conséquent ressemblant à un aven et constitué d'un puits de 20 fractionnable. Le gros avantage de l'équipement en glace, c'est qu'on peut choisir de poser les broches où on veut, où cela nous semble logique, il n'y a pas de petits spits à chercher ! Pour ce moulin on démarre sur un roche pris dans la glace pour faire un main-courante d'accès, on réalise notre tête de puits et on fait un fractionnement un peu décalé plus bas pour ne pas prendre la glace pilée du cramponage au-dessus. Au fond un gros névé semble boucher la suite, Charlie s'acharne à agrandir un chouette trou souffleur mais malgré son acharnement, ça ne passe pas. Il aura fait 2m de première! Ce deuxième moulin est aussi super mais on regrette qu'il ne fasse plus jour car la glace n'est plus bleu vif. C'est une autre expérience mais on est bien contents de faire notre petite vie !


On passe notre soirée à faire fondre de la neige pour le lendemain, on mange un bon repas chaud liophylisé (les sachets nous servent en même temps de bouillotte le temps que la nourriture s'imbibe) et on enchaine sur une soirée de jeux bien cocoonés dans la tente.



Remontée du Moulin de la douche de nuit
Remontée du Moulin de la douche de nuit


Jour 2

Une journée entière avec réveil et coucher sur le glacier. On se lève avec les lueurs rose du soleil levant qui donne un peu de couleurs à notre paysage blanc et gris plongé dans la pénombre. Notre petite équipe est ravie de cette journée, on va s'attaquer aux plus gros moulins !


Grand Moulin

Ce moulin est effectivement assez long. On choisit d'accéder par la bédière (perte du cours d'eau) plutôt que par l'entrée verticale. Ce fait durée le plaisir et le paysage est magnifique. On circule donc au crampon dans le méandre. Les température ce jour sont plus douces que la veille (0°C) et la glace de la surface de la bédière est bien fragile, on a peur qu'elle se rompt et qu'on mouille nos chaussures (ce qui mettrait probablement fin à notre séjour). On cramponne donc pour éviter les zones à risque, notre piolet nous est bien utile et on regrette même de ne pas en avoir un deuxième finalement. On progresse lentement mais surement dans les entrailles du glacier. La lumière des uns fait s'illuminer la glace dans les virages du méandre, tout s'illumine de blanc c'est magnifique. On progresse assez pour que le "jeux du noir" fasse vraiment son effet. On installe une superbe main-courante sur abalakov, broches à glace et longeage sur piolet pour s'aider à progresser afin d'équiper le puits le plus loin possible du potentiel actif (si l'eau se mettait à couler, on pourrait remonter sans être totalement sous la douche). Le méandre continue et la rivière s'affirme. Il n'est désormais plus possible de marcher au fond, on doit cramponner sur les côtés. Adeline suit en équiper une vire sur la pointe avant des crampons, ça fait les mollets et le gainage! Un bruit soudain résonne alors que nous sommes à ce passage délicat, un vrombissement. On est conscients que l'échos amplifie nettement les bruits, mais malgré tout, encore novice de ce milieu, on choisit de rebrousser chemin pour aller pique-niquer à l'air libre. La température est bien montée (5°c!), les blocs suspendus de la moraine se détachent sans discontinuer, et leur chute résonne tout l'après-midi. On respecte la règle d'évier de s'engager dans un moulin lors d'un gros redoux, et profitons de l'après-midi pour aller faire le plein d'eau à une petite cascade de glace. cela nous économisera du combustible. Lors de cette petite expédition bucolique, Charlie dégotte un mini-moulin non répertorié, que nous baptisons "Le Moulin de la Source".




Passage au dessus de l'eau sur la point des crampons et les piolets dans "la grand moulin"
Passage au dessus de l'eau sur la point des crampons et les piolets dans "la grand moulin"



*Le Moulin de la Source*

Bien entendu, on ne peut pas s'empêcher d'aller y jeter un petit coup d'oeil ! En deux temps trois mouvement, on a installé une corde et quelques broches et déblayer la neige pour descendre un premier petits puits de 10m puis un second de 2m. Fin sur une vasque. Un méandre part en direction opposé, mais il est impénétrable. Il y a peut être une petite traversée à faire plus tôt dans la saison, quand la glace n'est pas encore refermée :)

On patiente -impatiemment- le crépuscule pour que les températures rebaissent. Les blocs tombent continuellement. La température tombe timidement et on ne résiste pas à l'appel du troisième moulin de la journée, certainement le plus connu : le moulin EFS.

Exploration du "moulin de la source"
Exploration du "moulin de la source"


*Moulin EFS*

Il s'agit d'une grande entrée de type "gouffre" où plusieurs verticales intéressantes se succèdent : un P15, départ sur bloc et ancre à neige, suivi d'un deuxième P15 et d'un beau P23. Charlie équipe le premier kit suivi d'Adeline qui se ressert des anciens trous de broches en perçant légèrement plus profond (on a le droit de faire ça? Et est ce que des broches à glace peuvent s'utiliser en plafond? On a quelques questions à poser!) On fini dans un méandre avec une vasque bien remplie qui nous empêche de faire la célèbre jonction avec le P50 actif à une petite centaine de mètres de là. Il s'agissait d'une grande première cette année de pouvoir jonctionner deux moulins ! Outre la vasque, le méandre semblait sérieusement bien refermé, c'était pas sûr qu'on passait. On décide d'escalader un petit ressaut pour explorer l'amont, où on trouve un autre puits d'environ 50m qui nous goutte sur le bout du nez. Les concrétions sont très belles, et on se satisfait de ce paysage pour faire demi-tour sur un abalakov rappelable inauguré par Charlie. On remonte les puits, ravis du cramponnage qui facilite la remontée (par contre par très pratiques les crampons pour mettre la pédale. Et on a même pas essayé de mettre le pantin). Je déséquipe avec joie, regrettant une deuxième fois d'explorer un moulin de nuit et de ne pas bénéficier des belles lueurs bleutées de la glace.




Il fait tellement doux ce soir, 3 degrés. On améliore notre salle à manger pour manger dehors : on se creuse un petit coin cuisine et un siège pour le cuisto dans la neige, et on entreprend de creuser un autre petit banc 2 places pour le salon. On est ainsi coupés de la brise, et on peut manger tranquillement dehors, sans être entassés dans la tente. Quelle douceur. Les blocs de la moraine tombent sans discontinuer dans un fracas régulier. On espère que ça gèle dans la nuit pour que demain les précipitations soient bien de la neige.





Ploc ploc ploc

Dès minuit il se met à pleuvoir. On s'étaient parés pour le froid, mais pas du tout pour la pluie. Il pleut toute la nuit et au petit matin, il pleut toujours. On a l'impression que notre tente va flotter dans une bédière pour finir. Cette météo inattendue écourte notre petite aventure moulins de glace. Comment faire des moulins sous la pluie? Est-ce dangereux? Et si ça ne l'est pas, ça ne sera en tout cas pas confortable, nos vêtements sont faits pour le froid et pas pour la pluie. On conditionne donc nos affaires, nos sacs pèsent un âne mort, tout est trempés. Puis on se met à marcher en fil indienne, en espérant que le cabine et le train pour rentrer fonctionnent par temps de pluie ?


Le cabine ne fonctionne pas! Ca nous fait 300m de dénivelé positif à faire dans la soupe de neige jusqu'à la gare. Ca va pas être facile, les 100m qu'on vient de se faire jusqu'au pied du cabine c'était déjà laborieux. Mais la bonne étoie est avec nous, une employée du cabine doit justement remonter, et elle nous embarque avec elle. Ouf ! On échange nos points du vue sur le recul du glacier avant de sauter dans le train qui continue de monter les touristes pour admirer le point de vue sur le glacier sous la pluie. Ca fait pas rêver.


On redescend, heureux de notre aventure, en s'imaginant déjà la prochaine fois.



Entrée pas un tunnel de glace
Entrée pas un tunnel de glace

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