Ile de la Réunion: de la spéléologie dans du basalte !
Quand on va à l'Île de la Réunion, on pense tout de suite au canyoning et non à la spéléologie! Et pourtant, de part l'activité de ses volcans, l'île de la Réunion à de quoi faire rêver un spéléo : tunnels de lave, cheminées, chambre magmatique, fissure éruptive, cratère, piton, le tout potentiellement fabriqué en une seule coulée de lave, c'est fantastique !
En France, lors du Diplôme d'Etat à la Spéléologie, nous sommes formés au milieu karstique, c'est à dire, à la spéléologie et à l'étude du milieu calcaire. On encadre dans des grottes creusées dans du calcaires, on apprend la formation du milieu souterrain en calcaire. Les grottes formées dans tout autre type de matière (roche, glace, minéraux) appartiennent au pseudo-karst. C'est la raison pour laquelle nous sommes venus vivre trois mois à la Réunion cet hiver 2023, pour nous former sur le terrain en tant que "guide spéléo en tunnel de lave" mais surtout pour vivre notre passion de la spéléologie sous un angle encore différent. Encore une fois, la spéléologie dévoile ses curiosité, attise notre envie d'exploration, nos connaissances et convoite notre passion.
Des échelles de temps différentes entre le calcaire et le basalte
S'il y a bien une grande différence entre le calcaire et le basalte, c'est l'échelle de temps ! Alors que le calcaire fabrique des grottes en plusieurs centaines de million d'année (plusieurs dizaines de million d'année pour les plus jeunes), le basalte peut livrer une grotte en ... 1 an. De quoi rendre un spéléo complètement fou !
Par exemple, le massif du Synclinal de Villefranche où nous travaillons dans les Pyrénées Orientales est un calcaire qui s'est formé au Dévonien moyen (environ 380MA). Les grottes qui se situent à la base du Synclinal, comme les Grandes Canalettes et leurs 27 km de galeries par exemple, ont par la suite été creusées au moment de la crise mécynienne (environ 5 MA). Le pillier Martel, situé dans les Grandes Canalettes, a été daté à 350.000 ans !
Sur le Massif du Piton de la Fournaise (volcan actif jeune, 500.000ans), la coulée de 2004 a livré un réseau de 10km de galeries qui a pu être exploré 1 ans après l'éruption. Il faisait alors encore 55°C à l'intérieur et il y avait encore potentiellement un taux de gaz assez élevé.
Pour comparaison, les grottes de basalte les plus vieilles de l'ile actuellement connues sont situées sur le Massif du Piton des Neiges (volcan plus vieux actuellement endormi, 3MA). Il s'agirait de la Caverne de la Tortue datée à 430.000 ans, ainsi que le Trou d'Eau (tunnel semi-immergé). Nous avons eu l'occasion d'encadrer dans le Tunnel de l'Eperon, qui lui est daté à 350.000ans. Les tunnels des deux massifs présents sont très différents.
De gauche à droite :
- Spéléologie calcaire dans le réseau de Fuilla, environ 5MA
- Spéléologie dans un Tunnel du Piton des Neiges, environ 350.000 ans
- Spéléologie dans le Tunnel de 2004, 19 ans.
Une expérience en tant que Moniteurs de spéléologie en tunnels de lave
Nous sommes venus sur l'île pour découvrir le milieu de la volcanologie, qui nous était complètement inconnu. Quand il a fallu bosser le sujet, on a vraiment eu du mal à s'y mettre. Les volcans semblent si compliqués, en cours au DE on a rien vu de tout ça, ça ne nous parle pas, ça semble énigmatique. En plus, on a plein d'à priori sur le boulot dans les tunnels, avec ce qu'on entend en métropole. Les potes qui reviennent de la Réunion nous balancent plein d'infos : Les guides font plein de rotations avec des grands groupes, c'est comme être accompagnateur de grottes aménagées, tu n'apprend même pas les prénoms de gens, tu répètes ton speech, tu fourni une frontale et un casque et basta.., tu ne fais pas plus de 200m debout en file indienne suivi par 20 personnes ... Oh la la, ça fait pas rêver tout ça, j'angoisse un peu, je déteste la répétition. En plus, il parait que les temps de trajet sur l'île sont effroyables, qu'il y a plein de bouchons. Va-t-on passer tout notre temps sur la route ?
A présent en plein coeur de notre séjour, avec deux mois d'expérience en tant que moniteurs en tunnel, le travail ne me semble pas répétitif, les tunnels sont incroyables et variés, ils nous surprennent à chaque fois. On est loin d'être en file indienne dans des grandes galeries comme je me rappelait de ma visite à Undara Cave en Australie. On apprend bien le nom des gens, on ne fait que 2 rotations par jour (comme en France), en plus des casques et frontales, les gens sont chouchoutés : ils ont des genouillères et parfois des coudières. Les tunnels sont propres, la combi spéléo ne sert à rien mais surtout, il fait tellement chaud qu'on n'a pas envie de la mettre.
Nos sorties sont une belle expérience en spéléologie : il a du contenu pédagogique et des jeux possible : étroitures, petites galeries à explorer, jeu du noir. Il y a aussi beaucoup d'explications passionnantes à partager et des observations de plusieurs curiosités que seule la nature est capable de faire. Basés à Manapany les bains, dans le "Sud sauvage", on est loin de la civilisation et la route sinueuse et côtière est magnifique. Finalement on se retrouve au milieu géographique de plusieurs tunnels. On apprend constamment des choses sur la volcanologie, plus on en sait, plus on veut en savoir. On passe des heures à discuter autour de la formation des tunnels entre collègues, du fonctionnement du volcan, des tunnels à explorer et de la montagne d'exploration qu'il reste à faire sur l'île. Une vraie vie de spéléo bien remplie !
De la spéléologie dans du basalte
Non seulement on s'attendait à ne faire que du petit tunnel de 500m de long, haut de plafond, sans diverticule, monotone, dénué de décor, mais on ignorait en plus la richesse des explorations. Autant dire que nous avons ratiboisé l'île. Notre objectif : explorer le plus de tunnels possible, en commençant par le plus long en développement jusqu'au plus petit potentiellement intéressant. En parcourant les tunnels on s'interroge sur de nombreuses formations mais on formule aussi de nombreuses conclusions: plus on en fait, plus on en sait! Les paysages sont variés, chaque grotte est unique. On voyage dans le temps : 350.000 ans sur le Piton des Neiges dans le Tunnel de l'Eperon, 430.000 ans lorsqu'on saute dans le Tunnel du Trou d'eau, immergé comme son nom l'indique, 430.000ans encore à la caverne de la Tortue chargées de sédiments. La Caverne Bateau avec ses dimensions de galeries démesurées appartient aussi à notre vieux Piton des neiges. On explore le Trou des Palmistes, qui sert de bouche d'égoût à la route, la coulée de 1774 livre le Tunnel du Gendarme, son entrée sauvage avec sa coulée rouge, le Tunnel du Kapor daterait de 1998 nosu fait rêver avec ses incroyables "lavacicles" (ainsi appelle-t-on les concrétions dans le basalte). La coulée de 1800 donne lieux à un parcours sportif et mystique, rempli de racines et au plafond jaune-citron dans le Tunnel du Citron Galet, En 2004 apparait sur l'île le Tunnel de 2004 le plus étendu et avec le plus grand dénivelé, tout cela dans une envoutante noirceure. Quant au Tunnel de 2007, il encore en cours d'exploration et il nous livre déjà de bien belle curiosités de cristaux et de minéraux... On serait soit disant à 10% du potentiel d'exploration spéléo de l'île. Je ne sais pas d'où sort ce chiffre, mais le fait est : il manque de main d'oeuvre!
Légende de gauche à droite, de haut en bas :
- Tunnel de 2004 : Puits de jour
- Tunnel de 2004 : cascade de lave
- Tunnel du Kapor : incroyables lavacicles
- Tunnel du gendarme : une coulée férrugineuse de 1776 dans un tunnel de 1774.
- Tunnel du citron-galet : un plafond jaune-citron
- Tunnel du bateau : de belles banquettes de vidanges et de superbes volumes
- Tunnel de 2007 : d'étonnantes galeries dans le graton
- Tunnel du gendarme : les racines progressent dans les galeries
- Tunnel de l'Eperon : perché à 7m de hauteur en falaise, on y accède en rappel!
Lorsqu'on apprend que la spéléologie ne s'applique pas qu'aux tunnels mais que la variété du milieu est bien plus vaste, on se rend compte que notre séjour sur l'île sera bien de trop bref. Mais on continue nos explorations : canyon semi-souterrain creusé dans une coulée de lave d'il y a 2000 ans au coeur de la Rivière des Remparts, exploration d'une chambre magmatique du Cratère Commerson connue sous le nom de Jeanne Barret, descente en rappel dans une ancienne chambre magmatique du Piton des Neiges nommée "La Chapelle", exploration d'un cratère énigmatique situé en plein coeur de la forêt primaire du Brulé du Baril (forêt de Mare Longue).
Légende de gauche à droite, de haut en bas :
- Canyon semi-souterrain de la rivière des remparts
- Un des puits de la chambre magmatique de Jeanne Barret
- Ancienne chambre magmatique du Piton des Neiges mis à nue par la rivière de Bras Rouge à Cilaos
- Exploration du cratère dit "le trou de la foret", parfaitement rond, profond de 50m.
Une diversité de roche, de cristaux et de couleurs
On s'attendait aussi à ne voir qu'une roche uniforme appelée "basalte" mais on découvre que le basalte peut présenter des cristaux comme l'olivine qui le tache de vert translucide, ou bien de pyroxène qui le tache de noir jais brillant, qu'il peut présenter des inclusions de plagioclase qui forme des petits cristaux blancs. La "Chapelle" est elle creusée dans de la Syénite : loin de là le basalte noir et austère, place à une roche claire avec des cristaux énormes et très esthétique. On découvre dans les tunnels des formes de lavacicles très étranges, des stalactites pouvant atteindre plus d'un mètre de long, des stalagmites aux formes originales rappelant les régiments de banane. On admire aussi de la cristallisation à de nombreux endroits: gypse? magnésite?. Ce phénomène soulève d'ailleurs de nombreuses interrogations : de la magnésite sur les parois du tunnel de l'Eperon. Cela parait être dû au temps ? Pourtant on trouve des cristaux magnifiques dans des tunnels plus récent, qui nous rappellent le gypse. Il y du blanc, mais aussi des stalactites rouge, des coulées bleu, des coulées vertes. Dans les tunnels anciens, une concrétion de calcite peut pousser par dessus une stalactite de basalte. L'oxyde de fer donne des couleurs rouge, jaune et pourpre selon si le fer s'est oxydé à telle ou telle température lors de l'éruption. Ainsi on admire la tête de lion dans 2004.
Légende de gauche à droite, de haut en bas :
- Tunnel de l'Eperon tapi de magnésite
- Concrétion rouge à la Caverne Bateau
- Graton incrusté d'olivine - coulée 2007
- Cristaux blanc comme aimantés sur une stalactite de basalte - Tunnel du Kapor
- Cristaux blanc dans la Salle des Tangs - Jeanne Barret
- Stalactite rouge dans la Salle Juanito - Jeanne Barret
- La tête de Lion - Tunnel de 2004
- Concrétions bleues - Tunnel de 2007
- Magnifiques stalactites excentriques - Tunnel de 2007
- Cristaux rappelant le Gypse - Tunnel de 2007
- Stalagmite - Tunnel de 2004
- Deux teintes de coulée : couleurs "aluminium" et "chocolat" classiques dans le 2004.
Un fonctionnement hydrologique particulier
Sur l'île les volcans se sont formés grâce à un empilement de coulées de lave, alternativement des coulées lisses et des coulées gratons. Ces deux types de coulées manquent de cohésion, de part leur consistance différentes : la première est compacte et homogène tandis que l'autre est très friable. S'ajoute à cela des joints parfois étanche, formés par des remontées de magma à travers les couches de lave (dyke) ou parallèle à une couche de lave (sill). En plus de ces phénomènes éruptifs, de gros effondrements viennent perturber le millefeuille. Avec ce panel, on comprend bien que l'eau s'infiltre et résurge au gré des fissures et des vides ainsi formés.
Les coulées de lave en graton (composé de boules de basalte anguleuses qui ne collent pas les unes aux autres) constituent le meilleur endroit pour stocker de l'eau. Cela explique qu'après une forte pluie, les mises en charge des cours d'eau (appelés ici Ravine) et les décrues sont très rapides. Les tunnels sont rarement impactés par la pluviométrie. Seuls les tunnels qui se sont formés dans le creux d'une ravine peuvent se mettre en charge un jour de pluie. Les tunnels récents comme 2004 deviendront très "pluvieux" car l'eau va s'infiltrer dans les fissures du toit du tunnel qui ne sont pas encore colmatées par la végétation ou une coulée de lave superposée. En revanche, ce type de fonctionnement hydrologique est à prendre en compte pour le canyoning.
Légende de gauche à droite, de haut en bas :
- Un sill est une remontée magmatique le long d'une couche de lave préexistante
- Coulée en graton de 2007
- Résurgence du Grand Galet dans la rivière de Langevin. L'eau sort entre une coulée graton et une coulée lisse
- Coulée lisse en "lave cordée" de 2004
A votre tour de venir explorer un tunnel de lave sur l'île de la Réunion!
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